Mercredi 10 juillet de Olveiroa à Fisterra 33 km plus de 300km parcourus
Oyez oyez ! Marcheuses marcheurs de tous horizons, sachez que par expériences répétées sur le terrain, il est totalement utopique d’espérer faire la grâce matinée en auberge occupée par des marcheurs pèlerins ! Après avoir repris mes notes, statistiques, graphiques et autres carnets à spirales, et une fois de plus ce matin où l’aube ne pointe pas encore le bout de son nez, je le confirme, je le crie haut et fort en toute prévenance pour les futurs à venir, l’expression « grâce matinée » est absente du langage marcheur ; les rois du sac à dos 10kg partis durant des jours des semaines des mois marchent au plus tard à 7h du mat’… ils sont souvent sur le terrain dès 6h30, retirez à cela 1h de prépa et voilà vos grâces matinées rêvées levées à 5h30 ! on marche ou on marche pas, il faut savoir ce que l’on veut, ce sont nos vacances … Aussi j'invite les lève-tard à s'inscrire plutôt dans le programme farniente (j’ai pas dit fainéante) d’ hôtel ou pension que sur le nôtre... on marche ou on marche pas !
Debout donc à 5.30h , nos plans sont chamboulés mais il ne servait à rien de rester coucher avec autant de bazar autour de nous. On se serait cru à la préparation d’un vide-grenier, ça tournicotait, crissait, sacdelpastiquait, zippait, velcrochait, à qui mieux mieux …Du coup nous attaquons le chemin à la lampe frontale, c’est très pacifique, le jour n'est pas encore levé, il fait la grâce mat’, lui…
Nous avançons l’esprit encore cotonneux mais à la fraîche ce qui nous est bénéfique, il faut savoir exploiter le positif de la situation ! Nous dépassons très vite d'autres pèlerins que l'on voit déjà s'arrêter au café. Le bistrot, c’est la mort de la moyenne horaire du marcheur ! nous passons un groupe que nous connaissons. David, un barcelonais nous raccroche pour faire un bout de chemin avec nous. Nous rattrapons également Andréa, un italien et Casha, une polonaise. Nous avançons de concert quand soudain, là-bas au loin, nous apercevons la mer. Une sorte d’euphorie immédiate s’empare de nous tous, nous nous esclaffons, nous exultons tels des enfants ou des vigies, mer ! mer ! ah oui, les vigies tonitruaient terre terre, mais qu’importe, nous tonitruons ainsi, alertant les marcheurs loin derrière. Nous photographions cet Océan que nous savions bientôt apercevoir dans notre horizon après être sorti de Compostelle. Les effusions calmées, nos allures respectives nous séparent les uns des autres dès le village suivant, nous continuons en duo, à nouveau devant les autres. Notre binôme atteint Fisterra peu après 12h30.
Aujourd’hui, le paysage était très joli, alternant chemin et routes. L'arrivée finale à Fisterra est assez longue car obligés de longer les plages avant d'arriver à "l'albergue". Mais nous savons encore dérouler les pieds, prendre notre foulée de routiers bitumeux et lâcher tout le monde sans vergogne, l’émotion aux tripes, la joie d’en finir au cœur. Les douleurs ? les ampoules ? les courbatures ? la pépie ? pfffft ! effacées comme par enchantement, le temps de l’émotion. Nous arrivons au point final, non ? Dans 48h, revenu sur Terre, le corps entraîné à marcher chaque jour depuis des jours se relâchera, enchaîné à une souris d’ordinateur, une chaîne quelconque, une cabine, une boutique, un étal, sur un chantier, et là, les maux d’avoir tant marché se rappelleront à nous ; il nous restera le temps des soins et nos souvenirs magnifiques pour les amoindrir.
Nous sommes encore les premiers arrivés. Les autres pèlerins s’échelonnent au fil du temps. « Vous deux, vous nous avez scotchés » dit l’un d’entre eux. Nous sourions et lui expliquons notre technique apprise sur les compétitions de marche routières, il saisit et nous éclatons tous de rire. Le groupe des photographes de la mer s’est maintenant reconstitué, une sorte de bonheur éclaire chacun des visages, aussi fatigués et burinés soient-ils.
Nous faisons un peu plus connaissance avec "Javier" un pèlerin cycliste venu de Zarragoza. On recroise 3 pèlerins cyclistes français avec lesquels nous avons discuté hier sur le chemin pendant quelques dizaines de minutes. 2 d'entre eux sont sur la route depuis 1 mois et l’ un doit reprendre le travail car les vacances sont terminées. Il nous disait avoir fait du vélo tous les jours depuis son début de chemin et s'inquiétait un peu de la transition lorsqu'il reprendra le travail. Il est vrai qu’après un tel périple, une telle coupure avec la mondialisation, un tel retour aux sources de l’essentiel, le retour est souvent traumatisant, gare à la déprime ! L’envie de repartir, s’enfuir ?, n’est jamais très loin.
Nous croisons aussi ces pèlerins en bus "des tourigrinos" comme les surnomme ironiquement David qui en fait résume bien les pèlerins touristes en car. Ils viennent chercher leur "fisterrana", diplôme accordé aux personnes arrivant à Finistère à pied, un comble pour les vrais marcheurs pèlerins. Ces tourigrinos de pacotille diplômés à 4 roues génèrent dans l’auberge un embouteillage et un brouhaha important. Nous les toisons, les méprisons moralement ( fiers d’être marcheurs ! ) et nous allons nous délasser pour ensuite passer au dîner.
Ce soir, le coucher des pèlerins sera plus tardif que d’habitude, demain, aucune sonnerie ne tintera à 5h30. Ce soir, c’est le grandissimo spectacle du coucher de soleil au phare de Fisterra, ce lieu mythique connu depuis les temps antiques, le plus à l’ouest de l’Europe, fin du monde occidental, Finis Terrae. Ici les pèlerins font cérémonie. Il en ressort beaucoup d'émotion, des milliers de kilomètres parcourus à pied pour arriver là, face à la mer. Les marcheurs libérés de leurs fardeaux sont ivres de joies multiples, ils content aisément les anecdotes qui tout au long de leur chemin les ont marqués, les rires et exclamations fusent de toutes parts. D’autres alentours restent de marbre tant la beauté du décor naturel est à couper le souffle. Notre petit groupe de pèlerins se prêtera au rituel bien connu du camino consistant à brûler l'objet que l'on a détesté le plus sur le chemin. Interrogatifs, des gens nous regardent pratiquer notre cérémonie du feu, ils semblent n’en saisir que peu le sens, celui-ci faisant partie intégrante de l’âme des seuls pèlerins arrivés au bout de leur voyage.
Nous rentrons à l’auberge. Sur la vingtaine de lits du dortoir, seules 4 personnes sont couchées. Les autres sont restés, au phare ou aux distractions nocturnes offertes par Fisterra du bout du monde.
Nous nous endormons avec cette sensation bien connue en grand fond, de libération, de plénitude d’un rêve réalisé, nous sommes arrivés au km 0 !
Fisterra, notre camino del norte est bouclé. Notre marche sur le Camino Del Norte commencée l’an dernier est accomplie.
Pèlerinement vôtre !
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Moi, je préfère la marche à pied (Henri Salvador)
J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence (Anatole France)
“Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront.” [i]René Char[/i]
Ne crains pas de marcher lentement, crains seulement de t'arrêter.