ATHLETISME MAGAZINE NUMÉRO 579 - DÉCEMBRE-JANVIER 2019 http://www.athle.fr/asp.net/main.html/html.aspx?htmlid=5765
Dans la tête de Yohann Diniz : « Des points de passage stratégiques sur le parcours »
Dans le feu de l’action, le cerveau d’un athlète bouillonne souvent d’émotions et de pensées, euphorisantes ou paralysantes. Certains déconnectent leur esprit pour laisser parler l’instinct, d’autres s’interrogent sur ce qu’ils sont en train de faire, presque tous se parlent à eux-mêmes. Athlé Mag a profité d’un regroupement à Marseille, début novembre, pour tenter de sonder l’activité cérébrale d’un sportif pendant sa compétition. Découvrez sur athle.fr le témoignage du marcheur Yohann Diniz, extrait du dossier spécial de la revue, dans laquelle vous retrouverez les propos de dix autres athlètes. Rédacteur : Etienne Nappey
La longueur d’un 50 km
« Je ne pense pas qu’on puisse se permettre de laisser divaguer son esprit, même sur une épreuve aussi longue. J’ai besoin d’être 100 % focus sur ma course. Evidemment, c’est difficile de l’être pendant 3h30’ à 4h d’effort. Il faut pour cela une grande endurance mentale, être capable de ne pas faire rentrer des émotions qui peuvent te perturber.
Sur ma route
J’essaie de me mettre des points stratégiques sur le parcours : mon entraîneur, le ravitaillement avec Jean-Michel Serra (médecin des équipes de France), Pascal Chirat (référent national de la marche) qui peut me donner des infos, et le passage sur la ligne avec le tableau des cartons. Cela fait quatre repères qui me permettent de rester dans ma bulle. Ils sont hyper importants, et j’ai besoin de les visionner à chaque tour pendant 50 kilomètres.
À Londres, je me souviens être passé tout seul devant Buckingham Palace au vingtième kilomètre. J’avais ce grand rond-point et cet immense palais devant moi, et j’ai eu un gros coup de moins bien : « Encore trente bornes, ça va être long, comment je vais faire ? » Puis je me suis immédiatement ressaisi en voyant la ligne de fin de tour arriver, avec le tableau des cartons et les amis qui m’attendaient derrière. J’ai rapidement retrouvé un état d’esprit positif. Ce jour-là, c’est le seul moment où j’ai eu une pensée négative.
La famille, les amis et la clameur autour du parcours, c’est une motivation supplémentaire, mais il ne faut pas que ça devienne un facteur émotionnel trop grand.
Face à mes juges
Je les connais tous. Lors du premier tour, je regarde où ils sont, et j’essaie de repérer qui il y a parmi eux, histoire de voir si j’ai des affinités avec certains d’entre eux. Il y a toujours des liens qui se créent, comme on les voit souvent sur le circuit. Je me sens plus serein et plus relâché avec un juge que j’apprécie. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne va pas me mettre de carton, parce qu’il est là pour faire son travail.
Après avoir pris une mise en garde, je me dis que quand je passerai devant ce juge-là, je devrai être encore plus appliqué, même si le but est toujours d’être propre. Après, quand je vois qu’il ne me regarde plus et que j’ai une palette au tableau des cartons, je sais qu’il m’a cartonné.
Ma stratégie
On a beaucoup travaillé avec Gilles (Rocca, son entraîneur, NDLR) pour que je sois capable de varier les allures pendant la course. Cela correspond à ma façon d’être. Les autres concurrents voient que l’écart entre eux et moi fait le yoyo, et ils ne comprennent pas trop. Je les épuise mentalement en faisant ça. De mon côté, ça me fait du bien, parce que ce travail me permet d’être concentré pendant 50 kilomètres. Je pense que c’est plus éprouvant mentalement de s’en tenir à une allure régulière. C’est ce que j’avais fait à Barcelone en 2010, et j’avais terminé exténué. J’avais même chuté, signe que j’avais perdu ma lucidité. »