GRANGE JEAN PIERRE Le chemin des Dames Ven 24 Nov - 17:55:20...merci Jean-Pierre ! c'était en 2007 à l'occasion du 90e anniversaire de la dramatique attaque du Chemin des Dames
, notre petit groupe avait démarré du monument des chars d'assauts à Berry-au-bac pour terminer au Moulin de Laffaux; des lieux chargés d'histoires d'hommes, Craonne, Plateau de Californie, Caverne du dragon, Heutebise, La Malmaison, le monument des basques et tant d'autres, les tragiques ravins d'accès au chemin, des stèles collectives ou individuelles ça et là, des plaques, des croix, des croix, des croix à perte de vue, Soupir... D 18, Chemin Des Dames, à force de marcher où tant et tant sont tombés, l'émotion est si pesante à les devinez, les sentir, que vous pouvez vous surprendre a pleurer en leur malheur sur de nombreuses foulées. Le Paris-Strasbourg de mémoire se devrait d'y passer...
Le texte:
Dimanche 1er JUILLET 2007
LES 6 DU CHEMIN DES DAMES
Maudite soit la guerre et ceux qui l’ engendre.« Créneaux de la mémoire, ici nous nous accoudâmesNos désirs de vingt ans au ciel en porte-à faux
Ce n’était pas l’amour, mais le Chemin des Dames » ARAGON A l’occasion du 90e anniversaire des combats de 1917 sur le Chemin des Dames, le Conseil général de l’Aisne a mis en place le 7 juillet 2006 un Comité d’organisation qui sera chargé d'aménager tout au long de l’année 2007 les différentes commémorations et manifestations.
Ce 1er dimanche de juillet, le CHEMIN DES DAMES voyait le départ de 6 circuits de randonnée dites « des Bleuets », sur un front fleuri de 21.5km sur 12m de large, entre le carrefour de l’ANGE GARDIEN et CRAONNE. Ces bleuets symbolisent la « classe 17 » fauchée par la guerre avant 20 ans. Nous y avons marché de BERRY-AU-BAC à CORBENY via CRAONNE sur LAFFAUX. Nous sommes des vétérans, ici, des dizaines de mille n’ont jamais eu 20 ans.
35, 38, 39, 40, 42km195 ? Nous étions 6 ce dimanche-là à marcher du monument des chars d’assaut de BERRY-LE-BAC au MOULIN DE LAFFAUX, 39km à l’ouest. L’initiateur de l'affaire est Patrick MARSCHALL, marcheur et juge de notre sport favori. Épris de l’histoire de ce site tragique, il venait de participer avec bonheur au GRAND PRIX des CHAMPS de BATAILLE de VERDUN ainsi qu’à LA MARCHE DE LA VOIX DE LA LIBERTE de Ste MENEHOULD à VERDUN. Les lieux de mémoire l’inspirent à marcher, c’est bien. Nous le retrouverons sur LA VOIX SACREE le 11 novembre.
Comité restreint, nous entamions ce dimanche-là, la 1
ère du CHEMIN DES DAMES : Patrick marcheur, France sa pétillante mère élevée au rang d’estafette qui nous menait, Arlette et Marc KARDOS ses fidèles accompagnateurs voltigeurs, Jean PICHON et moi-même marcheurs biffins.
Ce matin, j’étais déjà bien éveillé lorsque ma montre bipa 5h30. Petit déjeuner pris, effectifs réunis au complet, paquetages faits, vivres dans la roulante (un VIVARO de 7m3 ad hoc) notre convoi se dirigea sur BERRY-AU-BAC km zéro. Nous étions en tenue de marche compétition de Grand Fond. Marc, l’ex-footballeur, au guidon du vélo des 24h, allait nous ravitailler. Son mulet est agrémenté pour la circonstance d’un casque Adrian M1915 et de bleuets, l’ensemble ficelé sur le porte-bagages. Arlette au volant du véhicule suiveur auréolé d’un gyrophare, allait assurer notre protection. France notre
covoitureuse allait nous retrouver au MOULIN DE LAFFAUT 4h45 plus tard.
Photos du départ prises, il est 7h15 lorsque nous nous élançons sur les 7km de ligne droite de BERRY à CORBENY. La température est de 11°, l’allure est stabilisée à 8.200km.h nous laissant ainsi la possibilité d’échanger quelques paroles. Quelques menues gouttes d’un ciel momentanément menaçant consacrent nos premiers pas. Eole les chasse rapidement. CORBENY atteint, nous virons à bâbord toute derrière l’église. Nous parcourons 3km champêtres parmi la campagne boisée avant de monter à l’assaut de la côte de 3km du PLATEAU DE CALIFORNIE. CRAONNE est indiqué, seules des ombres subsistent. De mon mp3 Marie LAFORET me susurre
VIENS VIENS SUR LA MONTAGNE. Je monte, concentré. De 1914 à 1918, les orages d’acier ont enterré les vignes et les humains. La terre en régurgite des restes chaque année. Par respect aux âmes, au passage devant la splendide sculpture des têtes, très évocatrice et symbolique du dramatique printemps, j’ôte ma casquette. Patrick en fait autant.
ILS N’ONT PAS CHOISI LEUR SEPULTURE est le nom de l’œuvre de bronze haute de 4m. Je frisonne de l’horreur humaine. Je marche. A la cornemuse,
CE N’EST QU’UN AU REVOIR MES FRERES me traverse les tympans. Je sens ces bonhommes perdus si proches. Je marche encore. Je souffle fort et rythmé comme pour me prouver que je suis bien vivant. Patrick semble rendu nerveux par la pression soudaine dégagée par l’endroit. Jean semble deviner la terre sous le bitume. Marc déroule sans sourciller, les yeux dans le néant. Chacun de nous ressent à sa façon. L’atmosphère est lourde, elle le restera sur des kilomètres de stèles en monuments. Au sommet, la bouteille d’eau régénératrice circule de main en main. Une ou deux gorgées nous suffisent mais ne suffiront pas, le vent félon nous assèchera. Au-delà de LA CALIFORNIE, nous nous dirigeons, montant et descendant, sur la ferme d’HURTEBISE km15 où les fiers MARIE-LOUISE à pied de 1814 ont apeuré le Russe envahisseur. Ces jeunes marchant au feu, n’étaient-ils pas eux aussi les derniers Bleuets de l’Empire ? L’Aigle impérial a plané sur ces terres de luttes d’invasions et de résistance à tout prix. Nous soufflons cadencé. Le balancement de nos bras nous entraîne vers LAFFAUX. Droits ou penchés vers l’avant, nous marchons à 8km.h et résistons au seul vent. Son souffle s’oppose aux nôtres. Nous le traversons à lui percer le flanc. Dans un vallon lointain, nous discernons l’imposant MONUMENT DES BASQUES. PAU, TARBES, BAYONNE, tant sont tombés dans les ravins d’accès du plateau. Les bleuets jalonnent le CHEMIN. La CAVERNE DU DRAGON et HURTEBISE s'annoncent au loin, nous passons. Une magistrale
CHACONNE de BACH me soutient.
Voici les 5km plein vent pour rejoindre CERNY-EN-LAONNAIS et sa nécropole. Ils se sont tant massacré pour une sucrerie en ruines et un damné chemin. 20
e km, je marche, ébranlé par ces croix et ces croix, allemandes, françaises, ces croissants, ces étoiles, ici, plus personne les opposent. Un calme fascinant règne, seul le vent et nos souffles... Plusieurs fois nous croiserons des randonneurs se regroupant. A notre passage, ils nous apostrophent d’un
où allez-vous comm’ça ? Nous leur hélons
Au MOULIN DE LAFFAUX ! instinctivement ils nous applaudissent.
Nous nous émotionnons. Le respect règne des randos de chemin aux marcheurs de bitume. Nous nous reconnaissons dans l’effort. Jean-Jacques GOLDMAN chante
ON IRA.
Coup d’œil en arrière, Arlette semble se plaire au volant. De son poste de vigie, à l’abri des 4 vents, elle domine
ses 3 marcheurs et
son cycliste. Le pied léger sur l’accélérateur, elle écoute sa musique. Accompagnateur ou marcheur, chacun trouve son plaisir dans la marche. Nous lui décernerons le brevet (en cours d’impression) de chauffeuse spéciale marche. CERNY en arrière, il me semble mieux respirer. Gérard MANSET me chante
Y’A UNE ROUTE.
LA MALMAISON est à 11km. Un caillou dressé rappelle le sacrifice des Sénégalais dont tant sont morts gelés dans leurs tranchées cet avril-là, les survivants sont tombés sur la crête. Plus loin, les Marocains, les Tunisiens, les
coloniaux les ont rejoints dans le néant. Je marche. Sur l’horizon brumeux de notre droite, se détache la masse monumentale de la cathédrale de LAON et ses 4 tours. Des stèles isolées jouxtent le Chemin : 24, 20, 19, 18 ans…ils sont là, trop. Je marche l’émotion à fleur de peau. Le site du fort détruit de LA MALMAISON approche. Je me prépare à effleurer les milliers d’autres croix, 14-18 40-45. Pour me distraire de la pesanteur ambiante et grandissante, je me dis que ces des dizaines de milliers n’auront plus jamais marché. Le
CHANT DES DRAGONS NOAILLES gronde à mes oreilles suivi du
LAMENT écossais
de LORD LOVAT. Cela tombe à pique! Mes yeux s’embrument un peu. Régiment d’infanterie, régiments de marche, tant auraient pu simplement continuer de marcher. Ils sont trop, beaucoup trop à nous regarder passer. Un spasme me gagne les entrailles. LA MALMAISON s’impose au km32. Les accords de Kyle EASTWOOD sur sa musique du film
LETTRES D’IWOJIMA me soulage. Combien de dizaines de milliers de lettres jamais écrites ? Je marche encore. A l’horizon, une grande croix précise l’entrée du CHEMIN, la sortie pour nous. Nous l’avons parcouru volontairement à l’envers. Dernier rond-point passé, nous nous échappons en file indienne vers le MOULIN DE LAFFAUX. Nous nous relayons en tête. La pression des kilomètres passés s’évapore. Comme si
ils nous remerciaient d’être passé les voir. Nous laissons le CHEMIN DES DAMES et son magnétisme dans nos dos. Au fur et à mesure que nous nous en éloignons, il nous semble marcher plus légers. Un faux pas et je sens la brûlure caractéristique de l’ampoule. La tête emprisonnée dans le rail du CHEMIN, je n’ai rien senti venir. Johnny HALLYDAY lance son déchiré
ô MARIE .
39
e km, au pied du monument récemment foudroyé des CRAPOUILLOTS, nous nous congratulons comme si nous venions de vivre la victoire formidable de ceux qui s’en sont sortis. Simplement nous étions heu-reux d’avoir marché parmi tant d’autres restés là-bas sur le CHEMIN. Cette 1
ère est une réussite. Arlette quitte son poste. Elle nous a sortis plusieurs fois de notre couloir de mémoire, venant à notre encontre, nous tendant riz au lait, ou banane revigorante. France nous a rejoint avec un superbe bouquet de fleurs champêtres glanées ça et là. Marc range le vélo. Jean PICHON nous distraits de ces bons mots. Des crampes l’envahissent. Je sens une lassitude. Nous constatons que nous avons très peu bu. Le vent frais nous a trahi. Nous avons marché avec nos tripes, les sensations à fleur de peau. A tue-tête, une alouette grisolle ou tire-lire, pour ne pas dire turlute haut dans le ciel.
Le CHEMIN DES DAMES ? Quel qu’en soit l’avenir, j’y marcherai un autre jour, bleu blanc ou gris, sans ou avec dossard, il faut espérer. Les lumières ont joué avec les ombres changeant sans cesse les couleurs du paysage. Le vent a soufflé de loin. Le beau temps était notre chance. Imaginez-le, LE CHEMIN, battu par les pluies ou couvert de neige et marchez au courage ! Ici, la terre rend l’acier et les restants d’hommes qu’elle a tant reçu. Venez un jour marchez ici pour ces myriades de marcheurs perdus. Nous étions 6 au CHEMIN DES DAMES.
L’idée d’organiser des épreuves de marche sur des lieux de mémoire, chemine…
Merci à Patrick, Marc, Arlette, France et Jean, compagnons enjoués du chemin bitumé et borné, pour ce 1
er juillet des Bleuets du CHEMIN DES DAMES.
Ce chemin de crête, ancienne voie gallo-romaine, surplombant les vallées de l’AISNE et l’AILETTE, doit son nom aux filles de LOUIS XV. Adélaïde et Victoire, Dames de France, d’où le nom du Chemin des Dames l’empruntaient lors de leur déplacement de PARIS au château de LA BOVE près de BOUCONVILLE-VAUCLAIR. Il fut empierré à cette époque afin de rendre plus aisé. De divin, il est devenu enfer 140 ans plus tard. Nous y avons marché à 8km.h, en mémoire sportive et respectueuse de la génération des Bleuets, sacrifiés et perdus par des niais… 24, 20, 19, 18 ans, d’un côté comme de l’autre.
« Quand ce chemin, Madame, ne serait pas de la plus grande utilité pour le commerce des vins du Laonnois, il suffit que ce soit celui que Mesdames de France doivent prendre pour se rendre à La Bove, et qu’il vous intéresse d’ailleurs personnellement, pour que j’y fasse l’attention la plus grande. » Lettre de Le Pelletier, intendant de la Généralité de Soissons à Madame de Narbonne (30 août 1780) Craonne, prononcer « Crane » ! Comme on dit « Lan » pour Laon, « pan » pour paon ou « fan » pour faon, Craonne doit se prononcer « Crane ». Il s’agit en effet de ce qu’on appelle en phonétique une synérèse. C’est ce que rappelle d’ailleurs inlassablement le Petit Larousse depuis sa première édition en 1906. C’est ce qu’indique aussi l’ancien combattant Henry Poulaille dans son roman Pain de soldat paru en 1937 quand il fait dire à l’un de ses personnages : « Craonne « : prononcer Crane disent les géographes et les dictionnaires ».
Ils ont de bonnes figures, ouvertes et franches, un air de santé, mais surtout un regard candide et confiant qui ne trompe pas quand il se pose pour la première fois sur celui qui va être leur chef de guerre.
Ils ne savent rien de ce qui les attend, ni au physique ni au moral. Comment sauraient-ils ?
Lieutenant du MONTCEL (5e régiment d’infanterie coloniale) à propos des « bleuets de la classe 17 ».
Les fermes du chemin : HURTEBISE, POTEAU D’AILLES, CERNY, MALVAL, LA ROYERE, LE PANTHEON, LA MALMAISON. Bernard THANRON marcheur de mémoire