2013 Paris Colmar Marche - à fleur de sensations
Sur cette épreuve sportive hors du commun, avoir été accompagnateur puis accompagné jusqu’à l’arrivée laisse des traces inaltérables dans l’être humain qui font que nombre d’entre nous revient chaque année vagabonder le temps qu’ils peuvent au départ et le long du parcours, échanger des mots, aider les copains copines, de quelques foulées, de quelques mots bien choisis, de quelques photos, d’un geste, voir et revoir pour vivre et revivre les souvenirs. Ainsi on se retrouve et on se reconnaît tous illico, une sorte de fluide colmarien, j’y reviens sans cesse ni satiété.
Edition 2013, 5km puis 15 puis 187km puis 2h de repos puis 162km pour finir avec 66km engendre chez les aficionados de la marche, voire d’autres sports, une certaine reconnaissance du grandiose, j’y souscris. Le marcheur ayant décidé un jour de prendre le départ du Paris Colmar est un être à part ordinaire…son entourage est du même acabit, des guérilleros du défi sportif, focalisés sur ce légendaire Paris-Colmar à la marche. Quand l’un d’entre eux décide de s’y plonger, ils savent déjà que plusieurs années vont y être consacrées, ils en parlent sans cesse ils en rêvent. Le marcheur donne tout pour eux, ils donnent tout pour elle ou lui.
Mercredi 12 juin, Neuilly-sur-Marne, nous y voici. Parking des marcheurs. Les camping-cars sont alignés, chacun d’entre eux porte le nom du concurrent qu’il suivra à 8km.h, les équipiers s’affairent, fignolent les derniers détails de préparation et de décoration pendant que le marcheur assis dans une flâneuse ou allongé dans son véhicule cherche à se détendre musique à l’oreille, regard lointain, très lointain, là-bas, vers ces Vosges qu’il convoite depuis des mois…des années. Certains somnolent comme s’ils pouvaient accumuler ces heures de sommeil qu’ils vont consommer outre mesure sur 440km. Présentations, départ donné, la Grande Marche est lancée.
Jeudi 13 juin, nous roulons en direction de l’est, il pleut depuis des heures et nous imaginons aisément les marcheurs dans leur progression et cette difficulté météo à absorber. La marche de grand fond est un censeur intraitable de l’athlète aussi préparé soit-il, la moindre faiblesse naturelle devient au fil du temps un abîme, le marcheur est délicatement sapé par les dizaines d’heures de marche qui s’accumulent. Ils ont démarré la veille d’un prologue parisien suivi d’une mise en route de 20km pour ensuite un grand départ nocturne vers un premier 24h, enchaîné d’un autre. Les hommes viennent de passer leur 1ère nuit de marche, il pleut, la 2e leur tend les bras, ils s’y engouffreront…sous la pluie. Les féminines démarreront tout à l’heure à 18h sous la même pluie qui ne cessera que le lendemain matin dégâts physiques à l’appui.
Rond point de Blacy avant Vitry nous remontons vers Pogny…sous la pluie. Loisy Drouilly Pringy Songy pluie. Le premier que nous apercevons est Philippe MOREL, belle allure, il lève les poings, pestant contre le ciel. A 5mn Jean-Marie ROUAULT suit, la tête dégoulinante, d’une concentration parfaite, il est le chasseur, redoutable, sa proie ? La victoire. Quelques foulées derrière, arrive David REGY, allure moyenne, visage absent, il semble contenir un mal latent. Dominique BUNEL se découpe au loin, sous la pluie, clin d’œil au passage, Dom’ est serein, il connaît l’affaire. Dmitriy OSSIPOV est à quelques encablures, talon-pointe appliqué bras pliés à 90° regard vissé 3m devant, une perfection du genre. Hier soir, le regard bleu du russe dînant dans son camion en disait long sur son dessein, mais un p’tit français allait le contrarier. Gilles LETESSIER approche, il est en train de se changer, le belge Pascal BIEBUYCK passe visage tendu, le taxi de Ligny-en-Barrois Christophe RAULET est en style, suivit de peu par un Emmanuel LASSALLE respirant l’aisance, sa première participation sera une réussite parfaite couronnée d’une 4e place, Emmanuel est entré dans la légende colmarienne. Quelques foulées à son côté, quelques mots, Emmanuel est sûr de son coup, totalement investi par la tâche à accomplir, pas d’angoisse pas de question, marcher et marcher c’est tout. Pascal BUNEL s’en vient, encadré par Mathieu OLIVARES à vélo et Isabelle CARCAILLON à la relance. Cheppes-la-prairie, Florian LETOURNEAU passera bras ballants malgré les mots d’encouragements de son accompagnateur du moment Urbain GIROD, derrière, dans le camion, Guy LEGRAND était inquiet, dur dur le Paris-Colmar, Florian s’arrêtera.
Vitry-le-François, 16h, il pleut sans discontinuer depuis trop longtemps, les athlètes marchent la-dessous, les organismes endurent comme ils peuvent, certains ont l’expérience de plusieurs départs, ce qui ne les protègent pas des déboires déconvenues, voire l’arrêt terrible où le château de cartes rêvé s’écroule; d’autres découvrent l’horizon dans lequel ils vont se fondre, se diluer, se perdre et à leur grand étonnement se régénérer, ils frissonnent devant la tâche à accomplir, marcher au-delà des horizons et de leurs connaissances. Rares sont ceux qui prenant le départ pour la 1ère fois arrivent à Colmar, ils ne se connaissent que sur des durées de marche de 24h au travers des circuits sélectifs, au-delà, c’est l’inconnue, ils vont s’apprendre. Mais ils sont engagés sur la plus grande épreuve sportive mondiale et ne peuvent plus ni reculer ni s’échapper, ils doivent s’affronter à leur rêve, le défier sans en maîtriser tous les paramètres malgré une préparation mentale et physique phénoménale, le destin du concurrent peut être chamboulé sans crier gare quelle qu’en soit l’expérience et la volonté de chacun mais ces gens-là, malgré leur humilité, sont des géants du genre humain. C’est ça Paris-Colmar à la marche !
18h les femmes démarrent sous une pluie battante, photos, une goutte se glisse dans mon cou, et les souvenirs de marche sous la pluie reviennent…encaisser pour durer, ne pas broncher. L’Audax de Thiais Claudie BIZARD et Karen DAVIES la Centurion britannique des Birschfield Harriers ferment la marche, bien que rapidement lâchées Claudie et Karen arriveront à Colmar. A noter un record établi par Karen en 2011, parcourir les 84 miles du mur d’Hadrien dans le sens Ouest-Est Bowness-on-Solway Fort Segedunum …comme le Paris-Colmar…en 28h30, ceci explique bien des choses, typiquement britannique ! Comme l’an dernier Vitry était sous la pluie, moins brutale cette fois-ci (à force on devient connaisseur), heureusement que les confiseurs de Plainfaing étaient présents avec de quoi requinquer nos papilles, les bonbons des Vosges !
Je vivrai la suite sur le site de l’épreuve. Mirecourt, le classement des 3 premières féminines est fixé jusqu’à Colmar. Vittel, ville-étape, OSSIPOV s’est emparé de la seconde place.
Il est passé de la marche athlétique à celle de grand fond en si peu de temps ! 440km ce n’est pas rien ! Il lui aura fallu 66h45’18’’ de marche, pour réussir son rêve, Eddy ROZE est arrivé en Alsace, respect à ce tenace marcheur coûte que coûte !
Peu avant Vézelise km174, malgré 2 relances, la double vainqueur 2011 2012 Dominique ALVERNHE lâche l’épreuve, rien n’allait plus. Pourtant la moyenne de la gagnante laisse supposer qu’une 3e victoire était possible pour la montpelliéraine, mais là encore, le corps a parlé.
La pluie ne fait pas que des claquettes, elle fait des dégâts chez les concurrents tout comme le profil bombé de la route patient destructeur de notre statique de marcheur ; résultats Fabrice HENRY douleurs rénales, Pascal BIEBUYCK voûte plantaire décollée, Philippe MOREL douleurs abdominales, Cédric VARAIN douleurs dorsales, Florian LETOURNEAU problème de genou droit, David REGY Rémy BONNOTTE jambiers et releveurs touchés, Emilie COUGOUREUX AUGE, tous ces concurrents sont arrêtés ou ne peuvent repartir.
L’équipe bourguignonne de Rémi BONNOTTE avait fière allure. 12 personnes au service exclusif du marcheur, présentation et organisation impeccable, chacun à son poste avec option d’échanger. Bar-le-Duc, 30 heures plus loin, le médecin arrêtait le bourguignon. Le rêve s’envolait, le corps avait lâché, contraignant le marcheur à stopper. Paris Colmar à la marche, Rémy y a goûté il sait déjà qu’il y reviendra.
1943-2013 Asepta-Akiléine aura fêté dignement son 70e anniversaire par une victoire sur le Paris-Colmar. Jean-Marie ROUAULT met fin à 17 éditions d’hégémonie russo-polonaise. Au soir de l’arrivée, la président directrice générale Anne-Marie NOIR a difficilement caché son émotion en remettant le trophée au vainqueur français de l’épreuve. Un parfum de bonheur planait.
Paris Colmar 2013, 20 au départ 7 arrivants, cela ressemble bougrement à l’édition 2003… 22 – 8. Quelle qu’en soit la structure, ville à ville ou sections, le Paris-Colmar à la marche et ses marcheurs sont des géants du sport, merci à eux et qu’en 2014 le soleil se lève à nouveau sur Colmar.
B.Th.