11 novembre 2010 La Voie Sacrée
Bar-le-Duc Erize-la-Petite suivi de Erize Verdun Impressions de l’arrière de l’épreuve. 6h30, de la fenêtre de la chambre, un ciel lumineux rose orangé dégradé du gris tourterelle au gris ardoise semi-nuageux s’offrait à nos yeux. Le thermomètre affichait les 4° prévus par la météo agricole. Le soleil perçant timidement les nuages semblait annoncer une journée sèche mais dame Nature est facétieuse et… dame météo agricole d’une précision redoutable !
Bar-le-Duc 9h, nous étions près de 60 multicolores sur la ligne de départ. Les marcheurs, heureux de se retrouver les uns les autres discutaient allègrement. Le coup de feu donné par Svetlana BARTHELEMY, le peloton s’élança, une quarantaine sur Verdun, une vingtaine vers la borne géante du Tour de France 2001. La file des marcheurs s’étira ainsi de 7 à 12km.h. 12km.h 9km.h, j’ai eu juste le temps de voir s’échapper Antonin BOYER pour ne le retrouver qu’à l’arrivée avec plus d’ 1h30 d’avance…sacré gaillard que l’Antonin !
Bar Erize-la-Petite 21.9km, un vent tiède de sud-ouest nous chauffait. Je regrettais d’être parti couvert d’une polaire et d’un collant molletonné. J’en suais, ce qui n’allait plus être le cas quelques heures plus tard.
Naives-Rosières km 5, un beau groupe enjoué de supporters sportifs dans l’âme encourageait et ravitaillait qui voulait, chocolat jus d’orange eau gâteaux. Verre d’eau attrapé au vol, moitié bu moitié versé sur le crâne, remerciements enjoués, je ciblais au loin des silhouettes marchantes à une allure proche de la mienne en espérant à la longue les remonter ou du moins ne pas les voir s’éloigner. Un dos de marcheur est une assistance rêvée pour celui qui suit.
Alain CARCAILLON et Robert SCHOUCKENS, l’estimable octogénaire vainqueur du Strasbourg-Paris 1977, Daniel BORDIER sont dans mon champ de vision, là-bas, devant. Je me fixais à leurs allures pour les remonter. 19 ans, Anthony OUDIN est à mon côté. Quelques mots de courage et le jeune champenois s’éloigne vers « sa » borne d’arrivée. Une fois passé, Alain me confiera lui avoir servi de « dos locomotive » pour son 22km, service camarade !
Erize-la-Petite km 22. Frédéric LESCURE que je croyais ne plus revoir m’attends. Des représentants de la gendarmerie viennent de prescrire à l’organisation qu’un véhicule suive chaque marcheur. Un flottement s’ensuit. Certains concurrents sont isolés, parfois un seul véhicule ravitaille plusieurs marcheurs, cornélien ! Accompagnateurs et bénévoles ne pourront qu’ obtempérer. Ils feront tout ce qui est en leur pouvoir afin de ne pas pénaliser l’épreuve dans cette situation kafkaïenne.
Chaumont-sur-Aire km 24, une senteur d’ensilage nous accueillait…nous pressons le pas et mon beau-frère m’informait du retour d’une vieille tendinite. Si les sections planes et de côtes lui sont gérables, la moindre pente devenait un calvaire de souffrance .
Issoncourt km 28, je détournais un moment la tête vers la droite, sachant Lacroix-sur-Meuse derrière l’horizon. Je cogitais à ce grand-père de 25 ans Chasseur qui fin septembre 1914 fut suffisamment blessé d’éclats d’obus pour ne plus être apte à revenir aux tranchées. A ce moment, je pensais qu’il m’aidait dans mon avancée sur Verdun.
Sortie d’Heippes km 32, Fred s’est arrêté désappointé à la sortie du village. Plus loin, les « krooh » perçants d’un vol de grues cendrées m’extirpent de ma concentration. Une trentaine de ces volatiles craquant et trompetant est en partance vers une Espagne aux températures plus accommodantes. Je prends le temps de relever la tête afin de suivre ce fascinant vé mouvant à perte de vue. Puis je retrouvais le seul dos de Daniel BORDIER tout en m’apprêtant à recevoir une douche glacée.
Souilly, les premières gouttelettes ressenties à Heippes se sont transformées en grain glacial. Cuisses et mollets durent encaisser rapidement la chute de température. Le marcheur se résigne à lutter et tenir pour arriver.
Lemmes km 38, les mains en appui sur ses lombaires, Daniel BORDIER lâchait prise. Trop de douleurs ma lançait-il au vol. Depuis le départ, il n’avait pas trouvé son allure et son allonge bien connues. Il n’était pas logique qu’il ne me lâche pas. Ce frère colmarien aura tenu le temps humain de la douleur. C’est déjà une belle référence de combativité.
Je restais seul avec Jean-Paul SPIESER comme horizon. Fred et Daniel arrêtés, Jean-Paul fera les frais de ma révolte…désolé camarade ! Je devais m’ exorciser. Avançant sur un fin ruban sec de bitume, une bourrasque me projeta les pieds dans l’eau. Les 12 derniers kilomètres se sont faits pieds trempés mais propres et décapés à l’arrivée ! 14h25, passage sous l’ A4, km 45…enfin au sec le court temps du tunnel. Je devinais qu’Antonin était déjà arrivé au km 57. La route descend sur Moulin brûlé, annonçant Verdun au lointain. J’apercevais 4 marcheurs à quelques hectomètres…les uns des autres. Après avoir jaugé leurs allures, je les reconnaissais, Hervé LANGRENE, Gildan LEGRAND, Claude MAUNY éternellement en short et l’ami jurassien Robert DALLOZ. Musique aux oreilles, je fondais sur eux. Entre Regret et Glorieux, Hervé et Gildan sont passés. Apercevant le panneau Verdun, je passais mon mp3 en « cornemuses » et l’ensorcellement écossais agit…je dépassais Claude et Robert dans le dernier kilomètre…désolé les copains ! L’écart avec Claudine ANXIONNAT pour revenir sur la vosgienne était trop important, de plus Claudine est une « sacrée cliente », une combattante de la route.
A l’arrivée, je retrouvais Antonin BOYER le vainqueur accompagné de l’ami Denis DUGAST. Nous nous congratulons avec 14km d’avance pour Antonin. Une conversation d’amitié-passion des légendaires 500km d’antan me requinque. Avec Dominique ALVERNHE, nous échangeons des brides de phrases. La montpelliéraine est venue ici s’ éprouver après une longue convalescence. Son courage et sa passion sportive ont su la faire bien terminer.
La Voie Sacrée, dans un sens comme dans l’autre, nous devons y revenir marcher chaque année pour la Mémoire de ces gens disparus au nom d’un rêve de Liberté. La Voie Sacrée, l’épreuve de marche où Grand Fond et Vitesse savent fricoter de plaisir.
Bar le duc km 0, le vent régnait
Verdun km 57, depuis Souilly, la pluie fine maîtresse des cieux avait fait ployé l’échine des marcheurs persévérants
Voie Sacrée 2010, les rideaux de pluie avaient remplacés les orages d’acier de nos aïeux d’antan.
Voie Sacrée je reviendrai.
Voie Sacrée Bar Verdun
Tes côtes longues comme un jour sans pain
Usent les athlètes pèlerins
Venus marcher sur tes reins.
Route trempée
Pieds mouillés
Jambes détrempées
Sur la Voie Sacrée
Le marcheur sait endurer.
Bernard THANRON marcheur de 8 à 9km.h
Mémoire américaine :
«
Erize-la-Petite, 2 août. C'est le pire des maudits trous perdus où j'aie jamais atterri. Sur la voie sacrée de Verdun. Un petit village clairsemé de part et d'autre de la route principale. La plupart des maisons...ont été consciencieusement détruites par les bombardements passés... Le calme absolu, un calme de mort. Grande concentration d'ambulanciers. La campagne sombre déroule largement ses moissons brunes - étendues sous une pluie grasse, sous du crachin, sous de la bruine, ou sous des déluges - mais toujours sous la pluie. 3 août, pluie, pluie, pluie...Erize a pu être tout d'abord une petite ville sans attraits, mais à présent, avec la moitié des maisons qui ne sont que des coquilles pleines de gravats et de fumier boueux, et le sol partout piétiné en une sorte de brouet par le défilé ininterrompu des troupes et des camions, c'est incroyablement le symbole de l'intense ennui latent de la guerre ».
Ces quelques lignes décrivant l'aspect du village d'Érize-la-Petite durant la première Guerre mondiale sont tirées du livre d'un américain, ambulancier engagé volontaire pour servir sur le front et en poste au village. Cet ouvrage est l'Initiation d'un Homme : 1917. Ce soldat, c'est John Dos Passos (1896-1970), un des écrivains américains majeurs du XXe siècle.Entre le 3 septembre 1918 et la fin de la Grande Guerre, le village hébergeait la base aérienne de quatre escadrilles américaines, y inclus le 94th Aero Squadron de l'as des as Eddie Rickenbacker. Les autres escadrilles étaient numérotées 95th, 27th et 147th.
Aux organisateurs ('
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